Le monde de la finance le créditait d’un succès depuis le début de sa présidence : sa politique pro-business. Alors que la crise sociale et politique s’approfondit en France, il redoute de voir toute cette politique remise en cause. Par la seule faute d’Emmanuel Macron.
Pendant deux mois, ils n’y avaient prêté qu’une attention distraite. Les manifestations, les grèves, tout cela pour s’opposer au report de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans… Pour ce monde de la finance internationale, cela relevait du folklore français habituel. Depuis la fin de la semaine dernière, ce n’est plus le cas.
Le coup de force d’Emmanuel Macron avec le recours au 49-3, la permanence des manifestations et des grèves, les violences policières, la montée de l’exaspération de la population allant jusqu’à obliger le roi Charles III à repousser sa visite en France les amènent à s’interroger. Le président de la République peut-il encore contrôler la situation ? Sa présidence n’est-elle pas déjà condamnée ?
Il y a longtemps que l’engouement suscité par Emmanuel Macron après son élection de 2017 est retombé chez les investisseurs internationaux. Au fil des années, ceux-ci ont appris à relativiser les envolées du chef d’État français, si prompt à faire la leçon à tout le monde. Mais tous lui reconnaissent un acquis essentiel à leurs yeux : il mène une politique pro-business.
« Son extraordinaire ascension politique a été suivie par l’obtention d’une large majorité au Parlement, ce qui lui a permis de lancer à toute vitesse une liste de réformes favorables aux entreprises, notamment la baisse des impôts sur les sociétés et une refonte de la législation du travail, rappelle un article de Bloomberg. Celles-ci ont réduit les risques financiers pour les entreprises licenciant des travailleurs et supprimé les couches complexes de négociation entre les employés et les employeurs. »
Mais tout cela n’est-il pas sur le point d’être remis en question, s’inquiètent de nombreux observateurs financiers qui se relaient dans la presse internationale ? Pour tous, la semaine dernière marque un tournant politique, plongeant la France dans l’incertitude.
Sur la responsabilité de la situation actuelle en France, le verdict est sans appel : la faute en incombe à Emmanuel Macron lui-même, à son style, à sa façon d’exercer le pouvoir, de s’emparer des institutions. « Le responsable de cette dernière régression est l’architecte du changement »,note le Financial Times, qui a consacré pas moins de cinq articles ces derniers jours à la crise politique en France. « Depuis son entrée en fonction, M. Macron a exercé son autorité d’une manière, qui, selon les critiques, ferait rougir le général de Gaulle », ironise le Wall Street Journal. Critiquant le style monarchique d’Emmanuel Macron, qui se présente comme « le maître des horloges », le quotidien financier italien Il sole 24 Oreenfonce le clou : « Le président français a toujours revendiqué le droit de décider de quoi et quand intervenir, mais la succession des décisions a été la source de ses erreurs. »
Déficit démocratique
Alors qu’avec la guerre en Ukraine, le camp occidental se veut le défenseur des libertés et de la démocratie face à l’autoritarisme, la manière dont Emmanuel Macron a ignoré les syndicats et les manifestations puis contourné le Parlement pour n’avoir pas à essuyer un refus les met particulièrement mal à l’aise. « Ce déficit démocratique » souligné par Der Spiegel leur semble une faute impardonnable. « Il a balayé l’opposition parlementaire et l’opinion publique d’une manière qui ne convient pas à la politique démocratique et à l’état d’esprit de la société », poursuit un article du Financial Times.
La dérive technocratique du pouvoir présidentiel et son incapacité à tenir compte de l’opinion publique soulèvent de nombreuses critiques. « Mercredi, il se lamentait encore : nous n’avons pas réussi à partager la nécessité de faire cette réforme, comme si le problème était l’inaptitude de la population à comprendre la réalité », grince Simon Kuper dans le Financial Times.« La marche forcée de M. Macron pour transformer l’économie française en un environnement pro-business se fait cependant au prix de la cohésion sociale en France », relève le Wall Street Journal.
À ce stade de tension, la présidence d’Emmanuel Macron leur semble dans une impasse. Ou en tout cas considérablement affaiblie. Lors du conseil européen du 24 mars, le chef de l’État a tenté de donner le change, clamant que de nouvelles réformes étaient toujours à l’ordre du jour. Les journalistes ont surtout noté un président isolé, fatigué, perdant la plupart des arbitrages au niveau européen, se demandant avec quelle majorité il pourrait travailler dans les quatre ans à venir.
La présidence Macron court le risque de devenir « un canard boiteux » pour Bloomberg, « le forçant à abandonner ses nouvelles initiatives pro-business, alors que ses politiques précédentes avait fait de la France la destination privilégiée des investissements internationaux et le premier bénéficiaire du Brexit ».
« Après moi, le déluge »
« La rébellion parlementaire à laquelle a fait face le gouvernement cette semaine, et le chaos qui s’étend dans le pays soulèvent des questions inquiétantes sur l’avenir pour quiconque espère voir la France rester fermement ancrée dans le camp libéral, pro-UE, pro-Otan », écrit Politico, reprochant à Emmanuel Macron d’opter pour la voie d’« après moi le déluge ». Une attitude irresponsable, pour beaucoup de commentateurs. « Il ne s’agit plus de réformer les retraites. Les manifestants voient la démocratie elle-même en danger. Et il est facile pour les populistes de droite de capitaliser sur leur colère », s’alarme l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, qui ne voit qu’un vainqueur dans ce moment : le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen
Une crainte largement partagée par le Financial Times qui redoute de voir la France « suivre les Américains, Britanniques et Italiens et opter pour le vote populiste : Marine Le Pen en 2027 ». Au point que certains financiers se demandent s’il ne faut pas désormais inclure « un risque géopolitique » dans leurs investissements en France.
« La France ne peut pas continuer comme cela. Il est temps d’en finir avec la Ve République, avec sa présidence toute-puissante – la plus proche dans le monde développé d’un dictateur élu – et d’inaugurer une sixième République moins autocratique », en appelle le Financial Times, demandant à Emmanuel Macron d’engager lui-même cette réforme. Sourd aux appels de la population, des syndicats, des politiques, ces mises en garde du monde de l’argent sont peut-être les seules qui pourraient l’incliner à changer.