Une foule immense a marché hier dans les rues anonymement, silencieusement en hommage aux 17 victimes de la barbarie, mais surtout pour dire non aux menaces, non à la peur.
Pour une fois une seule banderole Je suis ou nous sommes CHARLIE.
Beaucoup parmi les personnes présentes n'avait pas lu CHARLIE HEBDO, mais beaucoup connaissaient ou avaient entendu parler de ce journal impertinent, drôle, satirique, insolent, laïc, furieusement libertaire, écolo à souhait qui fait du bien, donne bonne conscience à d'autres.
Certains participaient à d'autres journaux, ce pourquoi les noms étaient familiers à beaucoup d'entre nous, dessinateurs doués, de qualité, d'une gentillesse inouïe avec pour seule arme un crayon, un feutre, un pinceau, journalistes d'investigation et impertinents, courageux.
Tous ces rassemblements ont eu lieu dans la dignité et le recueillement, dans le calme, et puis la parole retrouvée, et c'est important, parler, se parler, il y a belle lurette que les gens ne se parlaient guère.
Oh il y a bien eu 68 avec ses rassemblements spontanés, ses manifestations immenses, des débats qui n'en finissaient pas, et puis tout d'un coup en ce début juin 68 la chape de plomb s'installe à nouveau, les partis, les syndicats, même malmenés pendant un mois, reprennent le dessus.
Certes il y a eu des rassemblements entre temps, mais pas avec cette prise de conscience face à un drame atroce touchant des dessinateurs, des journalistes, des policiers et des civils parce qu'ils étaient juifs.
Oh il y a bien eu des tentatives de récupération de la part de partis, d'élus (Granville), alors que la parole devait et doit revenir au citoyen, pourquoi ce besoin de tout contrôler, de parler pour et à la place des autres, laissez un peu plus la parole aux citoyens vous apprendrez beaucoup.
Oh il y a eu aussi ces applaudissements des fourgons de forces de l'ordre, des bus des chefs d’États à Paris avec dedans des fauteurs de guerre notoires, et puis ces marseillaises. Nous nous ne sommes pas en guerre. Je ne pense pas que nos amis Cabu, Wolinski, Tignous, Charb, ont du se marrer en voyant ce spectacle.
Il faut rester vigilant, beaucoup l'ont dit, mais il faut surtout éduquer, informer, s'indigner, résister afin de ne pas revivre l'horreur.
Il faut éviter les amalgames, écouter l'autre et se parler, afin d'élever le débat.
Un article d'Edwy Plénel dans Médiapart analyse bien les événements, les causes et la suite à donner, dont je vous livre cet extrait à méditer :
« Cela doit-il nous dissuader de défiler ? Nullement. Bien au contraire, ce réveil de la société s’accompagnera d’un réveil de notre débat public. Depuis des années, Mediapart n’a cessé de documenter les dangereux égarements d’une politique étrangère et d’une politique sécuritaire ignorant nos nouvelles réalités sociales comme les grands basculements du monde, et tout particulièrement du monde arabe. Les frères Kouachi, Coulibaly, comme Merah, ne sont pas plus musulmans qu’islamistes. Ils sont des Français, passés par la délinquance et la case prison avant de s’enfermer dans une radicalisation terroriste habillée de quelques minables oripeaux idéologiques.
Ce terrorisme est né sur les décombres de dix années de conflit en Irak, d’une « guerre mondiale contre le terrorisme » voulue par George Bush, guerre qui a légitimité la systématisation de la torture, l’espionnage généralisé, la mise à bas de précaires équilibres dans le Moyen-Orient, et des centaines de milliers de morts. Ce terrorisme s’est développé sur les ruines de la Libye, certes débarrassée du dictateur Kadhafi, au terme d'un conflit aveugle mais intéressé engagé par Nicolas Sarkozy, qui a laissé un pays englouti dans les luttes entre factions sans que la communauté internationale ne tente de construire le début d’un processus politique. »
Il nous faut être critique aussi par rapport à tout ce que l'on entend, que l'on voit, la montée du racisme est bien là, parfois à peine voilée, pernicieuse. Il y a des mots que l'on ne devrait plus entendre et pourtant.
Alors quand certains disent les partis « conventionnels » n'ont pas réussi, on va essayer le Front National, non, un vous les conforter, deux vous donnez raison aux terroristes.
Joël Bellanfant