Vu sur le site de Regards Par Catherine Tricot, Clémentine Autain 3 avril 2013
Le mensonge de Jérôme Cahuzac devant l’Assemblée nationale est extrêmement choquant. Mais ce n’est pas la seule dimension du scandale. Celui qui n’hésitait pas à exiger une rigueur extrême pour les catégories modestes s’autorisait grand train, tricherie et dissimulation de revenus. Il ne voulait pas payer la part qu’il exigeait des autres. Une aristocratie sûre de sa différence impose une politique saignante. Cahuzac fait partie d’une caste, celle qui sait pour tous et vit dans un autre monde, celui de l’opulence.
Les aveux de Cahuzac sont une déflagration car il ne s’agit pas d’une affaire personnelle. Un homme politique, ministre du budget, semble avoir obtenu des subsides qu’il a dissimulés au fisc en échange de son influence au service des laboratoires pharmaceutiques. Sur le compte qui fait aujourd’hui scandale, la somme passée de la Suisse à Singapour n’est pas une petite affaire : 600.000 euros.
Il est hors de question de laisser entendre que la confusion entre public et privé est générale. Mais elle est devenue possible parce que depuis trente ans, l’esprit public s’affaisse. Les passages de la sphère publique à la sphère privée sont non seulement tolérés mais devenus des gages d’excellence. Ce n’est plus le service du collectif qui donne la valeur mais la réussite dans la sphère des affaires. Un très beau film - l’exercice de l’Etat - le montrait il y a moins d’un an : le service de l’Etat est réservé « aux vieux cons ». Les autres font des affaires, transforment leur carnet d’adresse en billet d’entrée dans la sphère économique. Celle des entreprises où l’on paye des salaires mirobolants, verse des dividendes, des stock-options...
Cette porosité entre le public et le privé se retrouve dans toutes les affaires en cours : affaires Tapie/Lagarde, Woerth/Bettencourt, Karachi/Sarkozy, etc. Sarkozy ose énoncer la possibilité de son retour à l’Elysée alors même qu’il prépare son atterrissage dans un fonds de pension qatari. La France n’a pas l’exclusivité de ces pratiques. Que Gerhard Schröder ait quitté le pouvoir allemand pour se mettre au service de Gazprom était bien un signe fort de l’affaissement des idéaux socialistes… C’est à pleurer.
Des hommes sont en cause, dans leurs pratiques, leurs choix. Mais c’est bien un système qui les a rendu possibles. Une nouvelle République, la VIe, doit s’inventer. Une loi sur le non cumul des mandats en 2017 ne fera pas le compte. Tout de suite, il faut une loi contre les conflits d’intérêts. Quant à l’espace des médias et de la justice, il doit être valorisé et préservé.
Nous assistons à une crise de régime. Profonde. La démocratie est menacée : le système institutionnel se révèle à bout de souffle et la défiance est installée entre les Français et les responsables politiques et médiatiques. Que tant d’éditorialistes, de journalistes, d’hommes et femmes politiques aient traîné dans la boue Mediapart et défendu sans sourciller Cahuzac signe une solidarité aveugle entre les puissants – souvenez-vous de l’affaire DSK… Au moment où l’on demande au plus grand nombre de faire des efforts pour payer la crise, où le moindre jeune qui brûle une voiture en banlieue est violemment mis au ban de la République, les trahisons du ministre du budget donnent la nausée. Quelques jours seulement après que le Président de la République nous ait expliqué qu’il est urgent de ne rien changer… On s’étrangle.