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Par Amine EL KHATMI 23 ans, étudiant en droit (master 2), Français
Lettre à monsieur le ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer,
des Collectivités territoriales et de l’Immigration
Monsieur le ministre,
La sous-direction de l’accès à la nationalité française du
ministère que vous dirigez vient de signifier à madame S. Boujrada, ma
mère, le classement de son dossier et un refus d’attribution de
nationalité. «Vous ne répondez pas aux critères», est-il écrit dans un
courrier sans âme que l’on croirait tout droit sorti de l’étude d’un
huissier ou d’un notaire.
Ma mère est arrivée en France en 1984. Il y a donc vingt-huit
ans, monsieur le ministre, vingt-huit ans ! Arrivée de Casablanca,
elle maîtrisait parfaitement le français depuis son plus jeune âge,
son père ayant fait le choix de scolariser ses enfants dans des
établissements français de la capitale économique marocaine.
Elle connaissait la France et son histoire, avait lu Sartre et
Molière, fredonnait Piaf et Jacques Brel, situait Verdun, Valmy et les
plages de Normandie, et faisait, elle, la différence entre Zadig et
Voltaire ! Son attachement à notre pays n’a cessé de croître. Elle
criait aux buts de Zidane le 12 juillet 1998, pleurait la mort de
l’abbé Pierre.
Tout en elle vibrait la France. Tout en elle sentait la France,
sans que jamais la flamme de son pays d’origine ne s’éteigne vraiment.
Vous ne trouverez trace d’elle dans aucun commissariat, pas plus que
dans un tribunal. La seule administration qui pourra vous parler
d’elle est le Trésor public qui vous confirmera qu’elle s’acquitte de
ses impôts chaque année. Je sais, nous savons, qu’il n’en est pas de
même pour les nombreux fraudeurs et autres exilés fiscaux qui,
effrayés à l’idée de participer à la solidarité nationale, ont
contribué à installer en 2007 le pouvoir que vous incarnez.
La France de ma mère est une France tolérante, quand la vôtre se
construit jour après jour sur le rejet de l’autre. Sa France à elle
est celle de ces banlieues, dont je suis issu et que votre héros sans
allure ni carrure, promettait de passer au Kärcher, puis de redresser
grâce à un plan Marshall qui n’aura vu le jour que dans vos
intentions. Sa France à elle est celle de l’article 4 de la
Constitution du 24 juin 1793 qui précise que «tout homme - j’y ajoute
toute femme - né(e)et domicilié(e)en France, âgé(e) de 21 ans
accomplis, tout(e) étranger(e)âgé(e)de 21 ans accomplis, qui,
domicilié(e) en France depuis une année, y vit de son travail, ou
acquiert une propriété, ou épouse un(e)Français(e), ou adopte un
enfant, ou nourrit un vieillard, tout(e) étranger(e)enfin, qui sera
jugé(e) par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité, est
admis(e)à l’exercice des droits de citoyen français». La vôtre est
celle de ces étudiants étrangers et de ces femmes et hommes que l’on
balance dans des avions à destination de pays parfois en guerre.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous ayons du mal à
accepter cette décision. Sa brutalité est insupportable. Sa légitimité
évidemment contestable. Son fondement, de fait, introuvable. Elle
n’est pas seulement un crachat envoyé à la figure de ma mère. Elle est
une insulte pour des millions d’individus qui, guidés par un sentiment
que vous ne pouvez comprendre, ont traversé mers et océans, parfois au
péril de leur vie, pour rejoindre notre pays. Ce sentiment se nomme le
rêve français. Vous l’avez transformé en cauchemar.
Malgré tout, monsieur le ministre, nous ne formulerons aucun
recours contre la décision de votre administration. Nous vous laissons
la responsabilité de l’assumer. Nous vous laissons à vos critères, à
votre haine et au déshonneur dans lequel vous plongez toute une nation
depuis cinq ans. Nous vous laissons face à votre conscience.
Quand le souffle de la gifle électorale qui se prépare aura
balayé vos certitudes, votre arrogance et le système que vous dirigez,
ma mère déposera un nouveau dossier.
Je ne vous salue pas, monsieur le ministre
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