Abstentions : toujours plus et longtemps encore…
« Nous avons entendu le message….nous allons répondre à leurs attentes ». Une fois de plus, confrontée à l’abstention, la classe politique se répand en déplorations et bonnes promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent…ou ne les écoutent plus.
Les instituts d’études politiques répètent à peu de choses près les mêmes indices concernant les électeurs muets… qui ont beaucoup de choses à dire. Mais gageons que rien ne changera lorsqu’on se force à regarder les débats qui opposent les représentants des partis sur les plateaux de télévision. Evidemment personne n’aura jamais vraiment perdu ou accepté clairement de le reconnaître. Manipulation experte des pourcentages de votants, multiplication des références aux élections passées, contrevérités flagrantes destinées à détourner les questions gênantes, contournement des enjeux politiques et des problèmes concrets, attaques personnelles. La mauvaise foi semble atteindre les plus sincères.
Nul ne paraît capable d’échapper à la machinerie infernale de la joute politique télévisuelle. Mais, encore une fois, la télévision ne fait que scénariser et refléter les pratiques politiques les plus ordinaires qui tendent à éloigner les citoyens de leur devoir civique. Bien que la classe politique française soit certainement d’un niveau de compétence et d’honnêteté qui n’ait rien à envier aux autres démocraties, il reste qu’une masse croissante de citoyens ne croit plus aux « belles promesses ». Pour 67% de français, selon le CEVIPOF, « les politiques ne peuvent pas faire grand chose, ni la droite ni la gauche ».
« Quel est le sens, l’explication de tout ça, quelle prise peut-on avoir sur les choses » dit une citoyenne, abstentionniste depuis la mort de son grand-père qui lui aurait botté les fesses(sic) pour aller voter. La classe politique ne semble pas s’inquiéter vraiment du nombre croissant de déçus dont le dépit souvent vindicatif manifeste une attente réelle de participation à la vie politique. « Tous pareils » se réjouissent les ennemis de la démocratie.
Pourtant nos représentants ne semblent pas en capacité de changer de posture, de la posture héritée de la conception originelle de la démocratie : « Les citoyens disait Seyes nomment des représentants bien plus capables qu’eux -mêmes de connaître l’intérêt général et d’interpréter à cet égard leur propre volonté ».
En 1789, la classe bourgeoise en lutte pour la prise de pouvoir économique et politique pouvait ainsi légitimer un mode de représentation élitiste, les citoyens qui étaient « plus capables »....que le peuple dont elle redoutait le « déchaînement démocratique ». La posture de l’homme politique héritée de ce moment historique reste d’actualité telle qu’exposée par Victor Hugo : «Le peuple est un silence, je serai l’immense avocat de ce silence. Je parlerai pour les muets ».
Or, les muets sont allés à l’école de la République, le niveau des connaissances et des acquits de la civilisation s’est considérablement élevé, mais la classe politique n’a guère changé de posture. Il suffit pour s’en convaincre d’assister aux réunions politiques électorales dont l’enjeu manifeste est de se retrouver dans l’entre soi des militants, à l’abri de toute remise en question, de toute division, en permettant aux différentes sensibilités de s’exprimer en évitant les vrais enjeux politiques qui pourraient faire désordre.
Parlant de reconfiguration du politique, Hamida Bensadia, militante féministe et associative récemment disparue questionnait ainsi la posture de ces « immenses avocats du peuple » : « Il faudra que nous nous baissions pour que nous puissions rencontrer les gens» (Elle n’a pas dit que nous nous abaissions). Il faudra, en effet que « nous » - ceux qui possèdent et maîtrisent habituellement la parole et un certain savoir - que ceux-là se mettent à la portée de ceux qu’ils prétendent enrichir de leurs analyses. Mais il faudra changer de pratique pour permettre au peuple de parvenir à la compréhension de la complexité des phénomènes économiques, politiques, sociaux et culturels, à plus d’intelligence critique pour se (re)mobiliser non plus seulement au moment de l’échéance électorale suivante.
« Se baisser » c’est-à-dire abandonner le modèle et les rituels de ceux qui montent en chaire et enfin adopter la posture de l’éducation populaire. Il s’agirait de prendre le temps d’échanger moins obliquement avec les citoyens, de partir de l’information partielle et partiale distribuée par des médias pour la plupart dominés par des puissances financières au service de grands groupes économiques. Il s’agirait de construire un rapport véritablement dia-logique susceptible de faire naître une parole « partagée », de construire un échange destiné à susciter la prise d’une parole et non plus une simple reprise éventuelle de la parole « révélée » de ceux qui ont le pouvoir de la parole.
Contre Victor Hugo, il faudrait enfin entendre Pierre Bourdieu « La prise de parole est toujours la prise de la parole des autres, de leur silence». La victoire du 21 mars engage déjà d’autres perspectives et d’autres enjeux électoraux ; elle ne laissera pas le temps de reconsidérer les modalités séculaires de la communication politique dominante. Le vote protestataire à de l’avenir ; n’oublions pas que 40% de ceux qui votent pour le FN, reportent leurs voix sur la gauche quand le FN n’est pas présent au second tour…
La classe politique continuera à « parler pour les muets », restant sourde au silence sans doute assourdissant des abstentionnistes. Jusqu’à quand… ?
Yann Le Pennec