Le Monde | 28.01.2015 à 10h09 • Mis à jour le 28.01.2015 à 15h46
Il y a un loup dans la loi Macron. Le projet de loi actuellement discuté à l’Assemblée nationale contient un amendement, glissé en catimini dans le texte, qui menace d’entraver le travail d’enquête des journalistes et, par conséquent, l’information éclairée du citoyen. Sous couvert de lutte contre l’espionnage industriel, le législateur instaure comme nouvelle arme de dissuasion massive contre le journalisme un « secret des affaires » dont la définition autorise ni plus ni moins une censure inédite en France.
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Selon le texte, le « secret des affaires » recouvre « une information non publique, qui fait l’objet de mesures de protection raisonnables » et qui a « une valeur économique ». Notre métier consistant à révéler des informations d’intérêt public, il sera désormais impossible de vous informer sur des pans entiers de la vie économique, sociale et politique du pays.
Le texte, qui a été préparé sans la moindre concertation, laisse la libre interprétation aux seules entreprises de ce qui relèverait désormais du « secret des affaires ». Autrement dit, avec la loi Macron, vous n’auriez jamais entendu parler du scandale du Médiator ou de celui de l’amiante, de l’affaire Luxleaks, UBS, HSBC sur l’évasion fiscale, des stratégies cachées des géants du tabac, mais aussi des dossiers Elf, Karachi, Tapie-Crédit lyonnais, ou de l’affaire Amésys, du nom de cette société française qui a aidé une dictature à espionner sa population. Et on en passe…
La simple révélation d’un projet de plan social pourrait, en l’état, elle aussi, tomber sous le coup de la loi Macron.
Dérives liberticides
Avec ce texte, un juge saisi par l’entreprise sera appelé à devenir le rédacteur en chef de la nation, qui décide de l’intérêt ou non d’une information. Une disposition spéciale prévoit même que la justice puisse empêcher la publication ou la diffusion d’une enquête. Dans le cas où le journaliste viole ce « secret des affaires », il encourt trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende. La mise est doublée en cas d’atteinte à « la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France ». Une triple notion suffisamment vague pour autoriser toutes les dérives liberticides.
Même tarif pour les lanceurs d’alerte, les fameuses sources sans lesquelles certaines affaires ne sortiraient pas. Ce texte inacceptable est mis au vote alors même qu’une loi prévoyant le renforcement de la protection des sources des journalistes a été discrètement enterrée l’été passé.
Nous, journalistes, refusons de nous contenter de recopier des communiqués de presse pour que vous, citoyens, restiez informés. Et comme disait George Orwell : « Le journalisme consiste à publier ce que d’autres ne voudraient pas voir publié : tout le reste n’est que relations publiques. » C’est pourquoi nous demandons le retrait pur et simple de ce texte.
La Commission européenne a proposé jeudi 28 novembre un projet de directive visant à protéger les secrets d’affaires, souvent des technologies ou savoir-faire particuliers, contre le vol par des entreprises concurrentes.
Le projet de directive prévoit des dommages et intérêts pour les entreprises victimes d’un vol ou d’une appropriation illicite de ces informations confidentielles. En Europe, 25% des entreprises se sont plaintes de vol d’informations confidentielles en 2013, selon un sondage cité par la Commission. « La cybercriminalité et l’espionnage industriel font malheureusement partie de la réalité quotidienne des entreprises européennes », a souligné le commissaire européen chargé du Marché intérieur, Michel Barnier, cité dans le communiqué. La proposition législative de la Commission européenne « vise à renforcer la confiance des entreprises, des créateurs, des innovateurs et des chercheurs dans l’innovation collaborative dans tout le marché intérieur ».
Actuellement, la législation diffère fortement au sein de l’UE. Certains pays comme la France, la Belgique ou le Royaume Uni n’ont aucune législation spécifique en matière de secrets d’affaires, contrairement à l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne par exemple. Le projet de directive de la Commission propose également une définition commune du secret d’affaires. Il s’agit d’informations confidentielles qui permettent à une entreprise d’avoir un avantage compétitif par rapport à ses concurrents, mais qui ne sont pas couvertes par le droit d’auteur ou par des brevets.
La Commission cite à titre d’exemples le processus de fabrication des pneus Michelin, la recette des « pasteis de Belem », une pâtisserie portugaise renommée, la technologie et le savoir-faire d’Airbus pour la fabrication des avions, ou l’algorithme de recherche de Google. Mais il peut s’agir aussi d’éléments plus éphémères, comme les résultats d’une enquête marketing ou une liste de clients. « La protection des secrets d’affaires est particulièrement importante pour les entreprises de l’UE les plus petites et les moins bien établies », a souligné de son côté le commissaire chargé des PME, Antonio Tajani, car "la perte d’un secret d’affaires et la divulgation d’une invention clé à des concurrents représente une perte de valeur et une baisse des performances futures désastreuses pour une PME".
décembre 2013, par