Le renversement de régimes dictatoriaux du Maghreb longtemps soutenus par les démocraties occidentales au prétexte de la lutte contre l’islamisme apparaît maintenant, pour nombre d’éditorialistes, comme autant de victoires de l’Occident ainsi confirmé dans « ses » valeurs. L’indifférence complice à l’égard de la persécution de tant d’opposants serait donc sauvegardée si « l’ordre public » n’avait pas été ébranlé par un battement d’aile : l’immolation de Mohamed Bouazizi. Ben Ali, Moubarak et Kadhafi pourraient continuer d’être reçus avec tous les honneurs…
Mais voilà qu’on s’émerveille de ces « révolutions » pour mieux esquiver les évidences qu’elles nous jettent au visage. On honore aujourd’hui ce qui, hier encore, était méprisé, ce qui était l’objet de tous les honneurs devient l’objet des sarcasmes. Tenterait-on ainsi de dissoudre le trouble que ces évidences devraient susciter pour un peuple dont un ex-ministre des affaires étrangères vient de déclarer que « ‘ nous ‘ avons tellement cru qu’il y avait chez eux (les peuples arabes) quelque chose qui aspirait à la servitude » (B. Kouchner, le 4.02.2011)
Voilà que l’apologie de l’insurrection est soudain décernée à des peuples qui mettent le feu aux commissariats et contraignent les nouveaux pouvoirs à poursuivre et juger chefs de la police, ministres de l’intérieur et de la sécurité de l’ancien régime. Les misérables mensonges de MAM évoquant une situation sécuritaire là où se levaient des émeutes populaires qualifiées par l’ami Ben Ali « d’impardonnables actes terroristes perpétrés par des voyous cagoulés » ont révélé la continuité (et la solidarité) policière des régimes censés garantir « l’ordre public » (En France, l’acharnement de la machine policière et judiciaire sur un groupe de jeunes gens dans l’affaire de Tarnac montre à quel degré de démence et d’aveuglement peut parvenir l’obsession sécuritaire au nom de l’antiterrorisme* ou de la lutte contre l’islamisme)
Les tyrans et, à un moindre degré, les oligarchies des démocraties représentatives devraient se rappeler que si, « ce n’est pas la rue qui gouverne » les effets d’un battement d’aile d’un papillon à l’autre bout du monde ou de l’autre coté de la Méditerranée peut les mettre à bas et les balayer. Qui règne par la terreur, à un moindre degré, par la peur s’expose à la fureur. Nul ne sait quand, libérée par l’indignation et la révolte, l’étincelle foudroyante de la souveraineté populaire embrase et découvre le gouffre au bord duquel tout pouvoir oublie qu’il est assis.
Yann Le Pennec
*CF. Le Monde, 25 février « Paris-Texas, une proposition politique des mis en examen de Tarnac »