Il y a deux camps. Du moins à en croire le préfet de police de Paris Didier Lallement. On connaît cette théorie. Face aux violences policières, il y a surtout deux façons d’appréhender le phénomène. En décembre 2019, le sénateur Les Républicains de l’Hérault Jean-Pierre Grand avait tenté de faire adopter un amendement stipulant ceci : « Lorsqu’elle est réalisée sans l’accord de l’intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires ou d’agents des douanes est punie de 15.000 euros d’amende ». Casser le thermomètre, cacher les faits, en voilà une idée qu’elle est bonne. Déjà en juin et en août 2019, Christophe Castaner et Emmanuel Macron lançaient une réflexion « nécessaire » sur le maintien de l’ordre, le Président arguant qu’il fallait « qu’on regarde comment changer la manière d’assurer la sécurité pour réduire très fortement le nombre de blessés ». Depuis, la réflexion avance.
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Et il semble bien que le sénateur LR ait donné des idées au gouvernement. Ainsi lit-on sur Mediapart : « Christophe Castaner envisage lui aussi de contrôler la diffusion des vidéos. Selon des informations recueillies par Mediapart auprès de la Direction générale de la police nationale (DGPN), une étude sur des "évolutions juridiques" est actuellement menée pour rendre notamment obligatoire le floutage de tous les agents. » Car, pour l’heure, il reste parfaitement légal de filmer les forces de l’ordre, tout autant que celles-ci ont l’obligation de porter leur matricule, le fameux RIO. À la manœuvre, le syndicat de droite extrême (et majoritaire) Alliance. L’argument principal est le suivant : les images de violences policières sont hors contexte et participent de la « haine anti-flics ». En vérité, les policiers ont bien compris une chose : l’impunité dont ils jouissent du privilège devient difficilement défendable lorsque les faits sont filmés. Pas vu, pas pris, telle est leur devise.
Concernant sa demande d’une étude juridique sur les vidéos de policiers en intervention, le ministre de l’Intérieur réfute tout : « Je ne savais pas, je n’ai demandé aucune étude », assène-t-il au micro de France Inter, accusant Mediapart d’avoir tout inventé. Sauf que Mediapart ne fait que relater les propos du délégué général à la communication du syndicat Alliance et ceux de la Direction générale de la police nationale. Bref, le premier flic de France accuse les siens de mentir. Bonne ambiance.
Ce mardi 10 mars, l’Observatoire National des Pratiques et des Violences Policières (ONPVP), qui regroupe plusieurs familles victimes de violences policières, lance une application : UVP (Urgence Violences Policières). Comme l’expliquait la fondatrice du collectif Urgence Notre Police assassine et membre de l’ONPVP Amal Bentounsi dans La Midinale de Regards : « C’est le résultat de nombreuses années d’observation de la police française. Il est difficile de poursuivre les policiers en justice et de les faire condamner par manque de preuve. Les pouvoirs publics ne nous proposent rien. L’outil que l’on a créé va permettre de filmer les policiers en cas de violences avérées des forces de l’ordre. Les policiers ne pourront plus effacer les images qui sont dans les téléphones portables, elles seront directement intégrées et traitées sur notre plateforme. »
Une « surveillance citoyenne de la police » à contre-courant des propositions de l’Intérieur, donc. Sur Facebook, Amal Bentounsi – dont le frère Amine avait été tué d’une balle dans le dos par un policier en 2012, policier plaidant la légitime défense, condamné en appel à cinq ans de prison avec sursis en 2017 – précise le fonctionnement de son application : « Si vous êtes témoin de violences policières il vous suffit de vous connecter à l’application UVP pour filmer, ainsi les images sont envoyées directement sur nos serveurs, plus de possibilités pour les policiers d’effacer la vidéo, une géolocalisation très précise du lieu de l’événement nous sera signalée, nous pourrons ainsi informer les relais locaux sur cette zone géographique. Nous disposerons d’images qui pourront mettre à mal la version policière, que nous mettrons à la disposition de la justice à chaque fois qu’il en sera nécessaire. Nous nous réservons le droit d’agir en justice et d’accompagner les victimes et témoins avec notre collectif d’avocat. »
L’application est disponible en accès libre dès ce mardi 10 mars sur Android et iOS [1]. Pour rappel, en 43 ans, 676 personnes ont été tuées à la suite d’interventions policières ou du fait d’un agent des forces de l’ordre. C’est plus d’un mort par mois. En France. Quant aux condamnations, le policier tueur d’Amine Bentounsi fait figure d’exception.