"Le patron est devenu fou", pourrait-on lire sur la vitrine de cet exécutif qui liquide la protection sociale, multiplie les déclarations tragi-comiques et les mesures fantaisistes. Résumé d’une semaine gouvernementale particulièrement agitée.
Lundi : totem et tabou
La veille, dans le Journal du dimanche, le ministre de l’Économie Emmanuel Macron a déclaré à propos de l’assurance chômage : « Il ne doit pas y avoir de tabou ni de posture, il y a eu une réforme, elle est insuffisante. » Tollé au sein même du PS, et réplique de Jean-Christophe Cambadélis : « S’il n’y a pas de tabou à gauche, il y a des totems. Et le premier totem c’est : quand le président de la République parle, les ministres ne viennent pas derrière le contredire. » En d’autres termes, ce n’est pas sur le fond que le premier secrétaire rappelle le patron de Bercy à l’ordre, mais sur la discipline. L’ordre économique et l’ordre partisan doivent régner ensemble.
Mardi : gratuité le week-end, soldes sur le théâtre
En grande forme après l’annonce du report sine die de l’écotaxe, la ministre de l’Écologie Ségolène Royal réclame aux sociétés d’autoroute une baisse de leurs tarifs, et suggère qu’elles pratiquent la gratuité le week-end. En prônant une mesure favorisant le trafic automobile le jour où elle présente la loi sur la transition énergétique, la ministre est d’une cohérence inversement proportionnelle au caractère farfelu de sa proposition. Instantanément, les demandes en faveur de la gratuité le week-end se multiplient sur les réseaux sociaux (restaurants, logement, etc.).
Fleur Pellerin, accompagnée d’Anne Hidalgo, déclare lors du cinquantième anniversaire de l’association pour le soutien du théâtre privé : « Le théâtre français marche sur deux jambes (publics et privés), c’est ce qui fait sa force. Pour préserver cet équilibre, il faut encourager le travail en commun. » Pendant le mandat de Bertrand Delanoë, la Mairie de Paris a introduit la notion de recette propre dans la gestion de ses équipements culturels. Conséquences : montée en flèche des tarifs et diminution des aides à la création. Développée au niveau national, un telle politique aurait des conséquences dramatiques sur l’accès à la culture et la vie de la création contemporaine.
Mercredi : le sceptre d’autocar
Le ministre de l’Économie, au lendemain de l’adoption de la loi sur la transition énergétique, glisse une idée de génie parmi ses propositions – ouvertement "réformistes" car il s’agit de rassurer Bruxelles et Berlin – pour s’attaquer aux « trois maladies de la France » (la défiance, la complexité et les corporatismes) : relancer le transport par autocar. Il a dû penser qu’il n’y avait pas assez de poids-lourds sur les autoroutes, et que les gueux ont bien besoin du rétablissement de la troisième classe. À noter qu’à cette occasion, empruntant une devise à Jean Tirole, tout neuf prix "Nobel" d’économie, le ministre a aussi lâché : « À force de trop protéger, on ne protège rien ».
Jeudi : ni philosophie, ni universalité
Alors que la mobilisation des chercheurs prend de l’ampleur, le Collège International de Philosophie, fondé notamment par Jacques Derrida avec le soutien du gouvernement socialiste en 1983, se voit aujourd’hui menacé d’extinction. Pour la première fois depuis trente-et-un ans, la dotation publique qui assurait sa pérennité est « en passe de n’être pas versée », a indiqué le Collège dans un communiqué. La disparition du Collège serait un symbole : seule institution philosophique en France à être ouverte et novatrice, foyer de la pensée critique ces trente dernières années, elle marquerait un énième reniement du gouvernement socialiste actuel.
L’Élysée a tranché… dans une énième promesse électorale de François Hollande. C’en est fini de l’universalité des prestations familiales, principe républicain défendu aussi bien à droite qu’à gauche. Les allocations seront modulées en fonction des revenus. Au-delà du principe, la mesure ouvre la porte à un démantèlement plus large, et surtout fragilise gravement un modèle qui inclut aussi la progressivité de l’impôt – qu’il sera encore plus facile de prendre d’assaut. Comme le résume Marie-Noëlle Lienemann, c’est une logique dangereuse : « réduction de la protection collective, de l’égalité des prestations, montée de l’assurance individuelle, "flat tax" en lieu et place de la solidarité collective, de l’égalité des droits, de la mutualisation et d’un impôt juste donc progressif. »
Vendredi : pas d’ISF pour les collectionneurs
Débordé, le gouvernement l’est aussi sur sa gauche… par l’UDI. Le parti centriste avait en effet déposé un amendement visant à assujettir les œuvres d’art à l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF), estimant qu’elles relèvent d’un marché spéculatif et que leur exonération n’aide en rien la culture et la création. Du côté des parlementaires PS Aurélie Filippetti et Patrick Bloche, on a estimé que cette mesure entraînerait « l’effondrement du marché de l’art en France » et remettrait en cause « la place de la France sur un marché mondial hypercompétitif » (cités par lemonde.fr). Le marché, la compétitivité : les socialistes savent bien ce qu’ils défendent. Heureusement, ils ont reçu le soutien de l’UMP, qui a aussi voté contre. Ce jour encore, ils ont pu se féliciter de leur courage, s’agissant de ne rien céder aux chercheurs mobilisés depuis trois semaines. Bravo !