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28 mai 2015 4 28 /05 /mai /2015 17:35
les ripoux de l'UMP deviennent les RIPOUBLICAINS

REGARDS Par Jérôme Latta | 28 mai 2015

Le choix de l’UMP de se rebaptiser en "Les Républicains", pour déplorable qu’il soit, n’est qu’un exemple parmi d’autre du processus général de confiscation et de détournement du sens des mots, afin d’assurer l’inanité du débat politique.

Mardi 27 mai, le tribunal de grande instance de Paris a provisoirement autorisé l’UMP a changer son nom au profit de "Les Républicains". Ce jugement en référé avait été sollicité par diverses organisations et particuliers, au motif d’une « privatisation de l’idéal républicain ». Avant d’éventuels recours en appel et au fond, cette nouvelle appellation est aujourd’hui soumise aux militants par vote électronique.

Un hold-up sémantique

Cette démarche relève d’abord de l’artifice employé par bien des grandes entreprises cherchant à se refaire une virginité après avoir accumulé trop de turpitudes. Un nouveau nom, un nouveau logo, une nouvelle stratégie de communication et le tour du namewashing est joué. On peut ensuite y voir une référence aux Républicains américains, représentants d’une "droite forte" qui peut séduire ici – et l’on comprend, non sans le regretter, que le terme Neocons ne puisse être retenu.

Mais l’essentiel de la controverse porte sur le hold-up sémantique effectué sur la République. Comme terme générique, "Les Républicains" procède bien d’une confiscation, d’une tentative d’établir un monopole. La critique fait consensus. Les membres de l’UMP peuvent au mieux prétendre être des républicains. Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi déplorent le procédé d’un parti « qui prétend englober tous les républicains, comme s’il n’y en avait pas d’autres en dehors de lui » et renvoie les autres « dans le camp des antirépublicains ». Pas plus suspect de gauchisme que ces philosophes, l’historien Jean-Noël Jeanneney les rejoint sur ce point et exhorte l’UMP à se rebaptiser en "droite républicaine" (quand les premiers suggèrent plutôt d’accoler un adjectif à ces Républicains) [1].

Sarkozy, la passion des héritages

Nicolas Sarkozy s’est fait depuis longtemps le spécialiste de telles appropriations, prenant généralement la forme de provocations. Sa campagne présidentielle de 2007 avait ainsi été marquée par ses OPA sur Jaurès et Blum, notamment dans un discours prononcé en avril de cette année-là à Toulouse. Se réclamant avec insistance d’une… « droite républicaine », il s’était approprié ces deux figures par le moyen d’une lecture apocryphe de leurs citations, se disant l’héritier du Front populaire », justifiant par ailleurs sa fameuse proposition de faire réciter aux lycéens la lettre de Guy Môquet [2].

Contre sa jubilation non dissimulée, il était déjà inutile d’en démontrer l’inanité historique, les inversions de sens, le caractère parfaitement abusif. Lui-même devançait l’accusation de « captation d’héritage » en déniant à la gauche tout droit sur ce dernier. Et en enchaînant sur une de ces innombrables acrobaties idéologiques qu’aucun commentateur ne se donnait déjà plus la peine de relever : « Voilà pourquoi je proposerai la suppression des droits de succession, parce que lorsque l’on a travaillé toute sa vie, on a le droit d’être propriétaire. »

Faut-il faire don de la République à l’UMP ?

Bien sûr, le futur président de la République retrouvait un peu de cohérence lorsqu’il précisait à Toulouse que, « entre Jules Ferry et mai 68, [il choisissait] Jules Ferry », sachant ainsi quel épouvantail agiter devant ses troupes pour ne pas leur donner l’impression qu’il se gauchisait par inadvertance. L’habit de la République est en effet assez large pour contenir la conception qu’en a l’UMP (et même le Front national), selon son propre héritage : la République capitularde des Jules, la République massacreuse de Thiers, la République coloniale et ses "bienfaits", la République monarcho-gaulliste, la République françafricaine, la République de "l’identité nationale", la République du Fouquet’s, etc.

On pourrait même la laisser à l’UMP, cette République, aujourd’hui incapable de donner substance à ses symboles, auxquels il faudrait rendre un culte ritualiste – à l’image de cette Marseillaise que footballeurs et écoliers devraient ânonner, de ce drapeau tricolore qu’il est interdit d’outrager ou de cette laïcité consciencieusement dévoyée. Jeter le bébé avec l’eau du nain a tout de même un coût élevé : la superposition des deux termes induira dans les usages un amalgame de fait. La République, qui ne parle déjà plus à grand monde, n’a pas besoin de cette confusion supplémentaire (sans parler de l’insulte faite à la République universelle).

Un régime de "communication"

La rhétorique sarkozienne, ce grand fatras opportuniste, ne se soucie pas de faire sens. Mais seulement, "décomplexée", d’agréger des références comme des stimuli pour exciter l’électeur en le confortant dans ce qu’il a de moins réfléchi. Elle n’est toutefois qu’une des émanations du débat public actuel, une expression parmi d’autres du brouillage politique contemporain. On pourrait ne mentionner que la persistance de l’étiquette "de gauche" pour les socialistes de gouvernement, pourtant contredite avec une rare insistance par leurs actes mêmes. Toutes les formations, du PS au FN, travestissent ainsi leurs véritables programmes, incapables de les assumer.

Ce que signifie "Les Républicains", c’est avant tout le basculement déjà ancien de la politique dans la communication et le marketing, c’est-à-dire dans un régime où la vérité, ou simplement l’authenticité, n’a aucune utilité. Dans ce régime acritique, il est particulièrement recommandé de mentir, de travestir, de renverser, de souffler du vent (sur des braises, si possible). Les suffrages y sont des parts de marché, les programmes durent le temps d’une campagne. En résumé, on peut littéralement dire n’importe quoi, raconter n’importe quelle fable [3] si cela sert à quelque chose à un moment donné : flatter la clientèle, obtenir de la visibilité médiatique, susciter un buzz, ulcérer l’adversaire.

Anéantir le débat d’idées

"Les Républicains" ne sera qu’une marque, c’est déjà un logo. Lesquels se substituent au mot, contribuent à en vider le contenu. Depuis « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous », toutes les grandes idées sont solubles dans les slogans publicitaires. Dans cette nouvelle coquille vide résonneront d’autres mots creux. Ceux d’un débat démocratique organisé par les conseillers, les experts et les lobbyistes, trusté par les éditorialistes, les provocateurs et les intellectuels médiatiques. Tous assurent au quotidien l’anéantissement du débat d’idées – faute de quoi les masques tomberaient –, entretiennent une perte générale de sens qui œuvre directement à la désaffection citoyenne. Tant pis pour l’asphyxie démocratique, l’essentiel est de conserver le pouvoir.

Dans un tel contexte, le "Je suis Charlie" et "l’esprit du 11 janvier" n’avaient aucune chance de ne pas être instantanément instrumentalisés (il est donc assez vain de leur faire un procès). Il ne fallait pas qu’ils persistent, de toute façon, comme doit être jugulée toute éventualité d’un sursaut démocratique qui serait aussi une révolte pour restituer leur sens aux mots et aux idées. Car alors, peut-être, verrait-on surgir de vrais "Républicains" – ou leurs vrais héritiers.

Notes

[1] Lire plutôt, d’un autre bord et plus en profondeur, les analyses de Martine Billard et Pierre Serna dans L’Humanité.

[2] « Le Front Populaire n’appartient pas plus au Parti socialiste d’aujourd’hui que le souvenir de Guy Môquet (…) n’appartient au Parti communiste. Il est mort pour la France, pas pour le communisme. Il n’appartient pas au communisme. »

[3] Un exemple avec la déclaration de Daniel Fasquelle, trésorier de l’UMP, réagissant au jugement : « La devise de notre République c’est Liberté, Égalité, Fraternité, et bien aujourd’hui c’est la liberté qui triomphe, la liberté pour l’UMP de pouvoir choisir son nom. »

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